dimanche 9 décembre 2007

Stockhausen: l'electro sans maitre...




Le compositeur allemand Karlheinz Stockhausen, pionnier du "live electronics" et de la "musique intuitive", est décédé mercredi 5 décembre à Kürten, à l'âge de 79 ans, a annoncé, vendredi, la Fondation Stockhausen. Auteur de plus de 360 œuvres, le compositeur a construit son travail autour de la musique électro-acoustique et de la spatialisation du son.

Né en 1928, Karlheinz Stockhausen fut, avec Pierre Boulez, le compositeur le plus engagé dans l'instauration d'un nouvel ordre musical après la seconde guerre mondiale. Dans les années 50, les deux compositeurs se sont lancés dans une sorte de compétition moderniste, les Polyphonie X et Structures du Français répondant aux Kreuzspiel et Kontra-Punkte de l'Allemand. Dans la décennie suivante, en revanche, Stockhausen se lancera seul dans l'appréhension psychologique des sons. Compositeur d'autant plus influent qu'il est un des rares dont l'oeuvre a dépassé le petit monde très fermé de la musique contemporaine "savante" pour inspirer et intéresser le monde du rock et des musiques "populaires" (le jazz aussi, Mingus et Miles Davis surtout...) Cela pour une bonne et simple raison : il est le pionnier de la musique électronique. Difficile de faire aimer la musique contemporaine aux fans de rock, mais nul besoin de se creuser la tête pour éveiller leur curiosité lorsqu'il s'agit de Stockhausen, suffit de rappeler quelques faits :

Des noms comme Kraftwerk ou Tangerine Dream vous disent certainement quelque chose.Dans le contexte psychédélique et contestataire de la fin des années 60, de nombreux musiciens allemands vont piocher dans tous les courants préexistants, du rock psychédélique au free jazz, en passant par les musiques du monde et contemporaines. Certains mettent en avant l'improvisation collective, d'autres injectent une forte dose d'électricité dans leur musique, qui sera bientôt synthétique. Les techniques d'enregistrement se retrouvent elles-mêmes au cœur du processus créatif. Les Allemands poussent le rock dans ses derniers retranchements. Sa rythmique binaire est transformée en une cadence hypnotique. Ou, à l'inverse, elle est totalement expurgée de leurs digressions cosmiques. Ils nous emmènent au-delà du rock.



A la fin des années cinquante, Holger Czukay assiste à un show de Karlheinz Stockhausen, l'Allemand considéré par beaucoup comme un des principaux pionniers de la musique electro. Impressionné par sa performance, Czukay aborde l'artiste qui lui confiera sans mystère que pour faire une telle musique et survivre, la clé est de se marier avec une femme très riche. Sans plus cogiter, Holger Czukay, qui deviendra dès lors l'élève de Stockhausen, s'en ira donc chercher un poste de professeur en Suisse, et plus précisément près du Lac de Genève. Accepté dans une école privée de grand standing, il trouvera rapidement une femme amplement apte à satisfaire ses besoins pécuniaires.. C'est ainsi que Czukay put mettre suffisamment de côté pour essayer, pendant un an (c'est du moins ce qu'il pensait à l'époque), de monter un groupe qui aurait peut être son petit succès. Ainsi débuta l'épopée d'une formation qui deviendra l'une des plus influentes de la génération Krautrock: Can.
Et puis Stockhausen et les Beatles. Oui, les « quatre garçons dans le vent » savaient très bien qui était le compositeur de Kürten-Kettenberg. Certes, l’influence de Gruppen ne transparaît pas dans Sergent Pepper, mais parmi les innombrables visages qui forment la couverture de l’album légendaire figure celui de notre compositeur. Paul McCartney a longtemps proclamé avoir été le premier Beatles à découvrir la musique de Stockhausen, à travers Gesang der Jünglinge. Stockhausen devait déclarer lors de l’assassinat de Lennon : « John Lennon était le principal médiateur entre musiques populaire et savante de ce siècle ».



Frank Zappa, des Mother of Inventions, va puiser des idées chez Karlheinz Stockhausen, du moins de ses œuvres électroniques, dont les inévitables Gesang der Jünglinge et Hymnen. Comme Stockhausen, Zappa était ouvertement provocateur, très critique envers son époque, fortement charismatique jusqu’à développer un certain culte de la personnalité. L’influence est particulièrement sensible dans les albums Freak Out ! et Absolutely free, premiers opus des Mothers of Invention, dans lesquels se mêlent instruments acoustiques, instruments amplifiés et travail sur le son en studio.


Frank Zappa - You call that music? - 1968


La pop anglaise s’est délectée de Stockhausen. Certes McCartney et Lennon, mais aussi les Pink Floyd, dont Speak to me et Eclipse, qui ouvrent et ferment l’album Dark side of the Moon, sont un travail électoacoustique de son pré-enregistrés (la fameuse machine à sous de Money) ou créés (battements de cœur) mêlés aux prises de sons de l’album (dont les cris de Clare Tory dans The great Gig in the Sky). Le principe de la déviation du matériau sonore, présente chez Stockhausen dès les Etudes faites à Paris au début des années 50 sont une marque des Pink Floyd, puisque reprise dans l’album Wish you where there jusqu’au dernier The Division bell. Roger Waters, séparé du groupe en 1985, reprend le principe dans Radio K. A. O. S.
Björk Gudmundsdottir, plus connue simplement par son prénom, dit avoir eu un choc quand elle découvrit la musique de Stockhausen à l’age de 12 ans : « enfin quelqu’un qui parle mon langage ». Quelques années plus tard, à l’occasion d’un entretien que la chanteuse a mené avec le compositeur dans la revue « Dazed & Confused » en 1996, celle-ci en introduction n’hésite pas à le qualifier de « meilleur compositeur de musique électronique et de musique atonale », n’hésitant pas à le comparer à Picasso – pourtant ce n’est pas vraiment la même génération, ni la même pensée… Que ce soit dans Homogenic, Vespertine, Medúlla ou la BOF de Dancer in the dark, l’empreinte de Stockhausen est partout chez Björk.

Pete Townshend (Who) et Bowie citent eux aussi Stockhausen comme une référence déterminante. Même chose pour Radiohead depuis qu'ils ont intégré l'électro. Si les Pink Floyd, David Bowie ou Björk se sont réclamés de Stockhausen, c’est dans son pays natal, l’Allemagne – et même l’ex-RFA pour être précis – que l’empreinte de Stockhausen dans la musique « populaire » a été la plus importante. A la fin des années 60 s’est développé le krautrock (littéralement : rock choucroute, nom donné par la presse anglophone, kraut étant l’équivalent anglais de « boche ». Les allemands préfèrent Kosmische musik, musique cosmique), mouvement social et culturel plus que musical qui a donné à l’Allemagne ses grands concerts rock dans la lignée de Woodstock ou Monterey avec l’Essener Sontag Festival, dont la première édition accueilli Frank Zappa. Parmi les musiciens présents dans le public, un ancien élève de Stockhausen, Holger Czukay, qui réunit auprès de lui un de ses propres élèves Michael Karoli et Irmin Schmidt (autre disciple de KH). Le trio forma le groupe Can, curieux cocktail de musique contemporaine, de pop et de rock progressif. C’est un euphémisme que de dire que l’influence du Maître fut considérable. Dans le sillage de ce renouveau de la scène allemande apparurent Faust, Kraftwerk, etc.

Cette nouvelle génération permit de remettre au goût du jour une partition de Stockhausen que l’Allemagne entière avait hué, et le reste du monde célébré : Hymnen. L’œuvre a été créée en 1966, soit à peine plus de vingt ans après l’Armistice. Les souvenirs sont encore vivaces et l’Allemagne fort complexée de son récent passé… Hymnen, qui est un mélange de divers hymnes nationaux, reprend Deustchland über alles, chant patriotique officiel du IIIe Reich. Même si celui-ci est transformé, passé par tous les filtres possibles et toutes les tortures électroniques imaginables, le scandale ne tarda pas : d’un coté Stockhausen était accusé de vouloir flatter les allemands dans ce qu’ils ont de plus bas, d’autres le montraient du doigt d’avoir voulu ridiculiser l’Allemagne aux yeux de l’Europe. Mais pour la jeune génération, Stockhausen était un Messie autant qu’un sauveur : il avait osé se moquer des signes qui avaient meurtri sa propre génération, il incarnait la libération des consciences face à ces symboles. De plus, Stockhausen n’a jamais ignoré tout le courant pop/rock de son époque, au contraire…
Pour toute la musique techno, des origines à l'electronica la plus pointue, Stockhausen est une sorte de "père spirituel". Une caution aussi, et une référence prestigieuse pour répondre au cliché récurrent : "bah, la techno, c'est pas de la musique, c'est des types qui bidouillent et font du bruit". Le maître ne figure plus réellement dans le peloton de tête des grands découvreurs mais qu'importe, il a déjà défriché le terrain pour une cinquantaine d'années et n'a plus rien à prouver. A ce propos, Holger Czukay dira : "C’est sans doute le plus grand inventeur musical. Il a développé tellement de pistes qui sont aujourd’hui récupérés par les artistes de l’électronique. A l'heure actuelle, beaucoup de musiciens travaillent comme lui, mais Stockhausen allait bien plus loin que la plupart d’entre eux, et c’était il y a quarante ans !" Plus qu'aucun autre compositeur contemporain, c'est certain, Stockhausen et sa musique complexe ont influencé la jeune génération de producteurs électronique. Il n’y a qu’à écouter Aphex Twins, Oval, Microstoria ou Autechre, pour s’en rendre compte. Une nouvelle génération qui laissait cependant papy Stockhausen un peu sceptique. Il déclarerait dans Art Press en 1998 : "Je regrette qu’ils ne soient pas plus expérimentateur"


Je ne m'étendrai pas sur l'oeuvre de Stockhausen, compositeur qui a beaucoup expérimenté et défriché (musique éléctronique, musiques "mixtes", électro-acoustique, spatialisation du son, musiques improvisées, aléatoires...) Stockhausen ne s'est jamais enfermé dans un style particulier, il a sans cesse su évoluer. Mais je rappelerai juste la différence entre la musique concrète et la musique électronique, deux musiques qui ont en commun d'être nées au début des années 50, élaborées en studio et d'avoir rompu avec les instruments traditionnels :

- La musique concrète est française à l'origine (Pierre Schaeffer, Pierre Henry). Il s'agit de sons enregistrés puis mixés. On part de sons réels, "concrets", qu'on assemble et travaille en studio.

- La musique électronique vient d'Allemagne (studios de Cologne). Et, comme son nom l'indique, elle utilise des sons créés à l'aide d'appareils... électroniques. Si Stockhausen n'est pas "l'inventeur" de la musique électronique, il fait partie des pionniers, et deviendra LA figure emblématique du genre. Lors du premier concert de musique électronique (1953), deux pièces de Stockhausen sont jouées : Studie I et Studie II

Bref... rien de bien compliqué pour différencier l'une de l'autre.



Mais la dernière fois où Stockhausen a vraiment fait parler de lui, ce n'est pas pour sa musique, mais ce commentaire qui a fait couler beaucoup d'encre en 2001 sur les attentats du 11 septembre : "la plus grande oeuvre d'art qu'il y ait jamais eu dans le cosmos". Phrase qu'il a ensuite démentie, assurant qu'un journaliste avait déformé son propos. Qu'il l'ait dit ou non, elle lui reste associée, et on ne s'étonne pas de la voir dans toutes les brèves bios posthumes depuis hier. La phrase de Stockhausen est monstrueuse... comme nous le sommes, tous. Pourquoi Stockhausen n'a pas assumé cette phrase ? Peut-être ne l'a-t-il pas prononcé... mais peut-être aussi a-t-il saisi qu'elle ne serait jamais comprise et qu'elle renvoie à une part de nous que nous ne pouvons assumer...
Stockhausen créait depuis une soixantaine d'années, mais un des compositeurs majeurs de ces 100 dernières années bien vivant, ça n'intéressait pas les grands médias. Un individu "normal" a très bien pu passer ces 30 dernières années sans n'avoir jamais entendu parler de Stockhausen. Sauf à deux occasions : sa phrase sur le 11 Septembre, et sa mort (d'ailleurs, je parle moi aussi de Stockhausen seulement au moment où il vient de mourir). Ce qui, en fin de compte, illustre parfaitement ce que l'on peut lire derrière son si terrible propos.

Mais pour terminer sur une note plus positive... l'essentiel, sa musique, avec un extrait de Kontakte oeuvre mixte pour électronique et instruments (la vidéo est celle d'un internaute) :




http://www.stockhausen.org/
http://sonhors.free.fr/panorama/sonhors8.htm
http://fboffard.free.fr/

Ween: « la Cucaracha » indécrottables branleurs !


Comment mieux masquer sa lumière qu’en ouvrant son disque avec une chanson ridicule ? Comment mieux garder en réserve sa grandeur et sa poésie qu’en l’entourant de stupidité et de lourdeur ? L'instrumental qui ouvre l'album dans une ambiance de dessin animé à la soul moite de "Blue Ballon", La Cucaracha résume ce que Ween sait faire de mieux : fusionner sans effort les genres. Le thème des relations qui unissent les êtres semble être le fil rouge de l'album, depuis le presque sincère "Friends", le terne "Object", le sommet de vulgarité que constitue "With My Own Two Hand" où Dean chante : "Elle va être mon professeur de bite/Etudier ma queue/Elle va passer son diplôme de maîtrise à me baiser". Malgré ça, il se rattrape vis à vis du public féminin sur "Sweetheart of the Summer", qui comporte quelque chose de la Motown dans sa trame.
La Cucaracha est le disque des cafards : ceux qui trônent sur la pochette et qui, tout le long du disque, font une fête d’enfer avec les restes de la pop music. Le titre est un jeu de mots si subtil qu’il en devient invisible : il faut lire COCKROACHA, fête aux cafards. Il y avait bien une tique sur leur premier album; mais c’est le cafard qui doit être considéré comme l’animal-totem de Gene et Dean Ween.c'est peut-être leur disque le plus festif depuis Chocolate and Cheese.
Un nouvel album de Ween est dans les bacs depuis la semaine dernière. « la Cucaracha » (et allez !), nouvel effort studio du duo gorgé de 13 pistes Weeniènes en diable à savoir un disque éclaté mais cohérent, pluri-thématique mais compact, éclaté mais mélodique. Car Ween c’est depuis « Chocolate and Cheese » et encore aujourd’hui profondément cela : une pop grand public (le plus souvent) pour peu que celui-ci aime être surpris au fil des chansons sans pour autant (ou si rarement) perdre pied. Dans chaque album de Ween il y a un morceau pièce de résistance, le grand œuvre de l’album, un morceau épique et qui dépasse en général la huitaine de minutes, cette fois ci il se nomme « Man and Woman » et c’est un sommet de l’année, qu’on se le dise ! Ce morceau pourtant fait inévitablement et irrésistiblement penser au Santana des années 70, lisez plutôt : Un morceau de 12 minutes incluant longue introduction planante en guise d’apéritif, un blanc de quelques secondes puis une cavalcade de percussions (tam-tam plutôt que grelot) en transe avant qu’un riff bien chaud vienne rompre la marche en avant puis bien vite la reprendre pour de longues minutes de chevauchée électrique trippante à souhait avant, en guise de long final, un solo de guitare épileptique. Sincèrement un des morceaux de l’année par son riff (trois notes qui plus est !) magistral et sa construction minutieuse.

WeeN

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Les Ween font de la musique pour tout le monde : « democrats » et « republicans », noirs, blancs, beiges, rouges, jaunes. Et ils leur feront aimer toutes les musiques qu’ils ne sont pas censés aimer : de la disco pour les punks, de la House pour les cowboys, du blues pour les druzes, de la salsa pour les sumos. Ne pas aimer un morceau de Ween est une faute. Sans forcément rapprocher leurs musiques, on peut dire que la trajectoire du groupe épouse pour beaucoup celle de groupes comme les Flaming Lips ou encore Mercury Rev, passés d’une pop psyché complètement barrée à une pop psyché accessible.
Ween est un des derniers groupes imprévisibles de son époque, capable de transgresser tous les tabous de la pop-music. Sur un maxi paru avant l'été, ils balançaient un gros morceau d'eurodance ("Friends") en pleine face de leurs fans ahuris. Sur La Cucaracha, ils convoquent Charlie Oleg, David Sanborn et Santana.
Gageons que pour ce qui est de fumar la marijuana Gene et Dean Ween (deux pseudos rassurez vous, ils ne sont pas plus frères que les Ramones ou que les Walker) ne sont jamais en reste. Ce duo originaire de Pennsylvanie existe depuis près de 20 ans et a sorti son premier album en 1989. Sobrement intitulé « God, Ween, Satan » il inaugurait une trilogie d’albums (viennent ensuite « The Pod » (hein ?) et « Pure guava » (qui ?)) plutôt bruitistes pour le commun des mélomanes. Une pop bruitiste et opaque tenant sans doute autant d’une volonté de saloper la mélodie que d’une capacité musicale primaire, des musiciens méticuleux, des touche-à-tout musicaux mais aussi d’indécrottables branleurs !
Au final nous avons là un disque guère différent de ce que le groupe nous a offert au fil de sa carrière, un disque de plus en fait dans cette belle œuvre mais une occasion sans doute pour beaucoup de découvrir ainsi la grande richesse pop de ce duo méconnu.





Ween - La Cucaracha
(Schnitzel / Chocodog / Pias)

http://www.myspace.com/ween