vendredi 16 mai 2008

Ariane Moffatt, la nouvelle scène québécoise qui nous saoule pas


Ariane Moffatt serait-elle la revanche du Quebec sur tout ce que l’on a pu dire en négatif de nos cousins preferés ? Cette jeune Canadienne, au lieu de ghettoïser sa pensée dans une voix de brailleuse, nous prend au dépourvu et enferme au fond de la gorge nos idées reçues qu’au Québec tout pue du bec. Heureuse et transformée, Ariane Moffatt joue d'audace sur "Tous les sens", son troisième album. Maintenant qu'elle a fait ses preuves, la musicienne s'amuse, sourire en coin.
Propulsée à l’avant-plan de la scène musicale québécoise avec "Aquanaute", en 2002, la jeune auteure-compositrice, originaire de Saint-Romuald, a ensuite connu un passage à vide avec "Le cœur dans la tête". Avec "Tous les sens", Ariane Moffatt ne fait pas que confirmer son énorme talent de musicienne et d'interprète, elle balaie également les doutes qui subsistaient quant à son talent d'auteure. Sa plume s'est en effet beaucoup raffinée, car c’est une Ariane Moffatt totalement inspirée et libre qu’on retrouve sur Tous les sens. Une Ariane joyeuse, touchante et parfois coquine.
Évitant l'écueil des métaphores vaseuses et les formules maladroites que certains essaient de faire passer pour de la poésie, elle a construit ses chansons sur des textes justes et évocateurs. Une fondation solide pour des musiques imaginatives où elle orchestre un dialogue foisonnant entre ses goûts pour le jazz (un peu), les arrangements fins (violons, cuivres) et la musique qui tape ou qui grésille. La chanteuse qui vient d'avoir 29 ans voulait faire ressortir quelque chose de plus joyeux, après avoir montré un côté plus sombre de sa personne.
L'aspect le plus frappant de son album Tous les sens, c'est l'impression de légèreté qui s'en dégage. Mélodies, chants, refrains, structures, orchestrations, tout y est d'une limpidité exemplaire. Or, c'est un album foisonnant où un piano parfois jazzy côtoie des choeurs joueurs, où une espèce de reggae électro peut être coloré par des cuivres capables d'autodérision et où le romantisme le plus pur (Éternel instant présent) est le prélude à une déclaration d'amour beaucoup plus physique: «Je vais te toucher du bas vers le haut / Te faire chavirer, grimper aux rideaux (...) Faire casser les vagues dans ton dos / Faire avec toi le plus beau des duos» (Tous les sens).

Son titre l’indique, "Tous les sens" est un disque infiniment sensuel. Naviguant entre musique roots et techno, Ariane Moffatt y chante le goût, celui du nouveau, du bon temps, du risque; la vue, celle du beau comme de ce qui défigure le monde; le toucher, comme dans toucher amoureux, toucher au point sensible, toucher droit au cœur… Au final, ce sont bien sûr nos oreilles et notre esprit qui sont grisés. Moffatt est diffuse avec "La Fille de l’iceberg", Piaf dans la verve pour "Briser un coeur" et son piano ragtime, baveuse pour "L’Équilibre", presque rageuse pour "Tous les sens", et sereine comme ça ne se peut pas avec "Éternel instant présent" et "Persédies". Comment résister à la tonique et mégalomane "Je veux tout", ce premier extrait qui fait actuellement un malheur en radio, ou encore à la bédéesque "Réverbère", envolée entre manga et réalité sur fond de batterie sixties. Plus loin, "Jeudi, 17 mai", formée de titres d’articles authentiques pigés dans les journaux d’un authentique 17 mai, nous laisse, comme les manchettes du jour, entre le frivole et le douloureux: «Je n’invente rien / c’est la presse qui parle / ce 17 mai au matin / y a que des rimes pauvres dans mon journal».

Ariane a écrit et composé la majeure partie des 12 titres de l’album, mais "Tous les sens" porte aussi les fruits d’une étroite collaboration entre elle et Franck Deweare, cet auteur-compositeur français vivant depuis quelques années à Montréal. De cette rencontre sont nées la très métaphorique "Fille de l’iceberg", chanson d’ouverture, ainsi que "Tes invectives" et "L’Équilibre". Notons aussi la collaboration à deux musiques de Jean-Phi Goncalves, lui dont l’album tout entier porte la signature puisqu’il en signe l’impeccable réalisation. Ariane, qui a signé un contrat avec Virgin France, a même refusé les réalisateurs cinq étoiles et prétendument «crédibles» qu'on lui proposait et auraient rendu la mise en marché plus facile. «Mais j'avais envie d'être chez moi, entourée de gens que j'aime, et de coréaliser avec Jean-Phi, même s'il n'avait pas d'expérience comme réalisateur.» Une fois de plus bien entourée, Ariane Moffatt a pu compter sur des musiciens talentueux, tels ses amis et membres de la formation Plasters (Jean-Phi bien sûr, mais aussi Alex McMahon aux claviers et arrangements et François Plante, bassiste de haut vol) ainsi que son plus loyal acolyte Joseph «J» Marchand (toujours à la guitare). En résulte une production accomplie, traversée par des arrangements vocaux aériens ou pointillistes, par des cuivres plus vrais que nature (sous le souffle inspiré de Jean-Nicolas Trottier), de même que par les couleurs d’un quatuor à cordes qui confèrent aux chansons une saveur toute gainsbourienne.

Étoffés, les arrangements n’en sont pas moins ouverts, oxygénés, faisant de Tous les sens un album à la fois luxuriant et minimal, fou et maîtrisé. Très Ariane Moffatt, quoi. Si toutes les canadiennes qui sortent des disques pouvaient ressembler à Ariane Moffatt nous n’aurions plus ce sentiment désagréable qui traîne dans la bouche quand est annoncé l’origine des artistes (voir aussi Jorane et Terez Montcalm....). Il est prévu que la chanteuse s'installe 6 mois en France début 2009.


Je veux tout, Ariane Moffatt (Live)
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Album : Ariane Moffatt - Tous Les sens - (Audiogram)

http://www.arianemoffatt.com/
http://www.myspace.com/arianemoffattmusique

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