mercredi 28 mai 2008

Seun Kuti & Egypt 80 "Many Things" premier album du petit dernier, la Fela Zion d'un musicien hors père....



En 1997, une figure majuscule des musiques noires meurt en Afrique, a 58 ans. Le chanteur et saxophoniste nigérian Fela Anikulapo Kuti, créateur - avec l'apport rythmique déterminant du batteur Tony Allen - de l'afro-beat, un mélange bouillonnant de funk, de soul, de rhythm'n'blues, de jazz et de musique ghanéenne (highlife). Ce jour-là, l'Afrique est secouée de sanglots et baignée de larmes. Le continent a perdu son plus célèbre musicien, le créateur de l'afro-beat, mais aussi le «Black President», comme on a surnommé cet irréductible adversaire des dictateurs nigérians. Fela le frondeur. Fela le guide spirituel. Une sorte de Gandhi croisé de Bob Marley et de Malcolm X. Pour avoir dénoncé la malédiction qui frappe l'Afrique - la corruption - il fut embastillé et tabassé un nombre incalculable de fois.
Quelque vingt années plus tard, Seun, le plus jeune de ses trois fils, publie Many Things, un premier album dont le son, la pulsation, la voix, l'intensité dansante et véhémente ressemblent à s'y méprendre à la musique de Fela. Il faut désormais compter avec Seun, le nouveau prince de l’Afro beat. Le benjamin du plus célèbre chanteur du Nigeria livre cette semaine son premier album : Many Things.
Dès les premières notes, l’on reconnaît la marque de l’Afro beat, un groove énergique et lancinant, des cuivres généreux, triomphants, l’héritage du célèbre Fela Anikulapo Kuti (1938-1997). La musique et les voix se ressemblent. L’orchestre du père, Egypt 80, est celui du fils. Et Seun Kuti, qui sort à 25 ans son premier album,ne renie pas son auguste filiation. « Je suis très inspiré par mon père. Nos individualités sont différentes, mais la musique reste la même », a-t-il affirmé à Afrik.com lors de son denier passage à Paris, en avril dernier. Il sait qu’il lui faudra du temps pour se faire un prénom, mais certains passages de son disque annoncent un renouveau.

Le jeune homme joue depuis son plus jeune âge, initié au chant, au saxophone et au piano par Fela et les membres de son orchestre. Il a effectué de nombreux concerts à travers le monde ces dernières années, mais sans enregistrer d’album. Une lacune à laquelle son public grandissant lui a demandé de remédier. Après bien des péripéties rencontrées au cours de sa recherche d’un producteur, c’est avec Tôt ou Tard, un label français, qu’il a signé son premier opus. C'est un révolté, comme papa. Seun chante le grand chef de la police, arrêté parce qu'il vole, et demande : «Mais alors, si le chef de la police est un voleur, qui va arrêter les voleurs?» Bonne question, fiston. Tout est bon dans le Kuti. Il chante bien, il danse bien, seul son jeu au sax n'atteint pas à celui de son père.

Seun Kuti - Many Things (Many Things, la chanson-titre de l'album où l'on entend les voix des anciens présidents (Obasanjo) et vice-président (Atiku) du Nigeria, ironise sur les propos des dirigeants africains persistant à dire que tout va bien, se flattant d'avoir fait de grandes réalisations pour le pays, "alors que rien n'a changé". "Je me dois de dénoncer tout cela", martèle Seun Kuti.)
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Enregistré à Lagos, Many Things est produit par Martin Meissonnier, le premier qui a fait venir en France Fela, puis King Sunny Adé, autre grande figure musicale du Nigeria. Le disque gronde des mêmes fondamentaux que ceux qui animaient Fela et agitent Femi, le fils aîné, découvert en France en 1988 au festival Musiques métisses d'Angoulême. Certes, comme son père, Seun joue du sax, danse, joue avec les Egypt 80 (dont certains des membres pourraient être ses grand-parents !)... Et la musique qu'il fait s'inscrit clairement dans la lignée de ce que faisait Fela - contrairement à son frère Femi. La ressemblance et la filiation ont quelque chose d'assez déroutant, même si quelques différences sont évidentes - surtout idéologiques (Fela était un "panafricaniste", Seun se définit comme un "blackist", plus généralement porté sur la cause noire, donc).
Mais, comme le montre la photo du tatouage sur son dos, cf. ci-dessous, Fela lives !!

Je m'adresse à ceux de ma génération et leur demande de réagir contre la corruption des politiciens qui ne pensent qu'à s'enrichir et oublient les besoins basiques de la population : électricité, eau courante." Si les gouvernants, au lieu de se remplir les poches, se souciaient d'installer l'eau courante et des canalisations, il n'y aurait pas d'eaux croupissantes où pullulent les moustiques, vecteurs de la malaria qui fait encore plus de ravages que le sida en Afrique, suggère le chanteur dans Mosquito Song, composé en 2005 pour le festival Roll Back Malaria, organisé par Youssou N'Dour à Dakar. Seun a aussi boycotté l'élection présidentielle d'avril 2007, exhortant les Nigérians à ne pas voter: «C'était la première fois depuis l'indépendance, en 1960, que le Nigeria avait l'espoir de voir un président démocratiquement élu - Olusegun Obasanjo - succéder à un autre. En réalité, Obasanjo avait tenté de modifier la Constitution, en 2006, pour obtenir un troisième mandat... Même s'il a échoué, il est parvenu, grâce à une élection truquée, à garder le pouvoir en faisant élire Umaru Yar'Adua, sa marionnette! La fraude a été massive. Dans certains bureaux de vote, comme celui de mon quartier, il y a eu deux fois plus de votes que d'électeurs et une centaine de personnes ont avoué avoir falsifié les bulletins!» Femi et Seun décrivent le Lagos d'aujourd'hui comme un gigantesque Bronx postnucléaire. Des voyous se faufilent sous les voitures, dans les embouteillages, pour arracher un fil électrique puis extorquer de l'argent pour la réparation. «Les Nigérians n'ont plus aucune estime d'eux-mêmes. La corruption ne choque plus personne! s'exclame Femi. Comme je le chante dans Traitors of Africa, le dictateur Ibrahim Babangida [qui a dirigé le Nigeria de 1985 à 1993] a volé 23,5 milliards d'euros dans les caisses de l'Etat. Parallèlement, malgré nos immenses ressources pétrolières, le revenu moyen d'un Nigérian est de 300 euros par mois, alors que le coût d'une année scolaire est de 1 800 euros!» Seun se prépare à fonder un parti politique: «Je voudrais que les gens se rendent compte qu'ailleurs il existe des moyens de transport publics et même un système de sécurité sociale. Qu'ils sortent de cet état d'hébétude où les plongent la misère et le fanatisme religieux!»
Lorsqu'on demande aux deux frères (Femi et Seun) pourquoi ils restent dans ce pays à la dérive où chaque jour ils risquent leur vie, Seun répond: «Je demeurerai toujours fidèle au combat de mes ancêtres. C'est dans mes chromosomes. Un proverbe yoruba dit: "Le fils du tigre reste un tigre."» Femi, lui, renchérit: «Je n'ai pas peur. Et je n'ai pas le droit de trahir le surnom que je porte, celui que mon père s'était choisi pour défier le destin. En yoruba, "Anikulapo" signifie "Celui qui avance avec la mort dans sa poche".»

Les thèmes abordés dans cet album sont très politiques. La corruption, la guerre, la violence, des maux qui minent l’Afrique et que dénonçait Fela en son temps. C’est que, selon Seun, entre les années 80 et aujourd’hui, rien n’a changé. Au contraire, les choses ont empiré partout, estime-t-il, à commencer par le Nigeria, son pays, où « 1% des habitants possède 90% des ressources » et le pouvoir local est une véritable « mafia ». Une situation catastrophique qui, à l’opposé de nombreux autres artistes, l’empêche d’être fier de son continent : « Je ne suis pas fier d’être africain, je ne suis pas fier d’être originaire du continent mendiant ! ».
Seun Kuti juge que les déchirements et les échecs que connaît l’Afrique tirent leur source de la colonisation et des traumatismes induits par cette tragédie. « Les Africains ont été humiliés et rejetés pendant longtemps. Depuis la période coloniale, ils sont considérés comme des esclaves, des individus de seconde zone, des déchets. (…) Aujourd’hui, cette mésestime de soi fait partie de la psychologie des Africains, chacun l’a en soi… », diagnostique-t-il. Pour le musicien, l’Afro beat et son message restent l’un des meilleurs moyens de combattre ce mal, de faire les Africains prendre conscience des injustices et des travers de leurs dirigeants, de leur redonner confiance en eux-mêmes. Une véritable thérapie. Fela laisse derrière lui le souvenir d'un homme félin, beau et magnétique. De l'avis général, Seun Kuti, chanteur et saxophoniste, est la réincarnation de son père.


Concerts : le 26 mai à Paris (Bataclan), le 31 à Dijon (Festival Tribu), le 5 juin à Châtellerault (Festival Jazz à Châtellerault), puis festivals d'été et tournée française en octobre.

Album : Seun Kuti & Egypt 80 - Many Things - label Tôt ou Tard

liens : http://www.myspace.com/seunkuti

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