samedi 8 mars 2008

LO COR DE LA PLANA, MUSIQUE OCCITANE UNIVERSELLE

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Le New York Times le disait il y a quelques semaine :
« Ce fut le groupe le plus frappant du festival (GlobalFeast 2008). Avec seulement des voix et des percussions, ils font des choses remarquables. Ils chantent de riches harmonies chorales et des contrepoints qui ricochent joyeusement. Il y a des notes en bourdon et des dissonances proches de la musique d’Europe orientale, de longs solos vocaux qui rappellent la musique arabe ou le chant grégorien. Leurs voix se renvoient la balle d’une façon percussive qui évoque la musique africaine. Bref, toutes les connexions d’une fête méditerranéenne. Leur musique est à la fois robuste et complexe. C’est un produit local fin prêt pour l’exportation. »
Lo Còr de la Plana (prononcez « Lou couar dé la plane » et traduisez « Le cœur de la Plaine ») est un chœur d’hommes du quartier de la Plaine à Marseille (eh oui, peuchère!). Fondé en 2001 à l’initiative de Manu Théron, le groupe dépoussière le répertoire occitan de Provence, réveille et réinvente les chants sacrés comme les chants à danser les plus débridés.
Interprétées à l’unisson ou en polyphonie, accompagnées de bendirs, de battements de pieds et de mains, les joutes vocales du Còr de la Plana sont emplies de fougue et de sincérité. hurlés, susurrés, les chants du Còr sont à l'image de leur quartier : violents mais sans cruauté, doux mais sans mièvrerie, blindés mais sans sûretés inutiles. On finit étourdi par tant de maîtrise vocale, d’énergie et de sens du rythme.
Les cinq membres du Còr ont travaillé jusqu'ici sur le répertoire religieux populaire du Damase Arbaud et des Noëls de Notre-Dame des Doms, et sur de nombreux chants à danser (rigaudons, bourrées, rondeaux), en intégrant aux compositions et arrangements nombre d'éléments présents dans la culture marseillaise d'aujourd'hui (raggamufin, techno-groove...). Ce chant peut apparaître âpre et rugueux à la première écoute, puis on entre dans la danse, et on finit étourdi devant tant d'énergie maîtrisée, de puissance, de sens du rythme et par cette beauté aride. La dissonance trouve sa conclusion dans une harmonie remarquable. Leur expression est entièrement physique. Jouant des mains et des pieds, ponctuant le texte d'onomatopées, semblant s'arrêter et guetter le premier applaudissement pour mieux repartir.
Lo Còr a cette volonté nouvelle et définitive d’en finir avec le chant " traditionnel ", d’en découdre avec la musique vocale et la polyphonie, quitte à réveiller ceux qui rêvaient de voir mourir ces dernières dans leurs chapelles...De fait, nos chanteurs sont partout : dans les églises, les usines, les bars, les festivals ou les théâtres, n’hésitant pas à mêler au paganisme déroutant du vieux fonds occitan les préoccupations des musiciens marseillais d’aujourd’hui. Ils ne renient alors aucune influence, de Bartok au Massilia Sound System, aucune provenance, d’Oran au Rove proche, n’ayant pour unique prétention que de faire détonner, résonner et déraisonner dans leur musique tout ce que leur ville et le monde alentour leur donne à entendre. Une sirène de police, un nouveau-né, les restes d’un paradis ou d’un fantasme de paradis, une fête trop arrosée, des moutons, des loups, bref, la fureur paisible et enivrante du quotidien...

* Manu THERON: Seconde, bendir (ancien de Gacha Empega)
* Sebastien SPESSA: Basse (ex Na Zdorovie)
* Denis SAMPIERI: Seconde basse bourdon ryrhmique, bendir
* Rodin KAUFMANN: Seconde bourdon rythmique
* Benjamin NOVARINO-GIANA: Seconde tierce (ex Nux vomica)

Deux CD : "Es lo titre" (Nord Sud NSCD1121) et le tout récent "Tant deman" (Buda musique 3017530).
« Es lo titre » (2003) est composé de 17 chants religieux provençaux et méditerranéens. Ce choix est moins l’expression d’une piété aveugle qu’un désir de renouer avec une ferveur populaire. Le groupe dynamite la tradition en réinventant leurs mélodies, en les ornant d’orchestrations minimales où des rythmes orientaux se juxtaposent à des enluminures électroniques. Bien écouter aussi les inter-plages hilarantes.
“Tant deman” (2007) est plus dansant, plus rythmé, avec davantage de percussions. A part trois chants (“La Vielha”, “Fanfarneta” et “Feniant et gromand”), nous n'avons plus affaire à des chants traditionnels mais à des créations du groupe, qui ne s'inscrit pas dans une identité stricte, basée sur les codes habituels de la musique dite “occitane”, mais regarde vers tout le bassin méditerranéen.


LO COR DE LA PLANA tour du bourreau pau
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« "Si en Afrique quand un vieux meurt, c’est une bibliothèque qui brûle, c’est la même chose en Europe". » (Lo corde la plana)

Extrait d'une interview tres interessante du groupe:

Vous pensez faire une musique de survie, au niveau de la langue par exemple, ou absolument pas ?
Absolument pas. Notre musique n’est pas un acte de résistance ou de combat, c’est un acte de création. Et c’est sur la création qu’on fait reposer ce disque, ce répertoire et notre engagement. C’est pas un acte qui se pose pour ou contre, c’est une musique d’abord dans la recherche et l’invention d’elle-même.

Comment faites vous justement pour vous appuyer sur les emprunts qui sont faits, comment réussissez vous à tout mêler, à tout concilier, sans trahir quoi que ce soit ?
Je pense qu’il faut laisser aux influences le temps de mûrir dans une personne, le temps qu’elles resurgissent sans aucune traçabilité ou visibilité sur ce qui s’est passé auparavant. On joue du bendir, parce que c’est un instrument qu’on s’est complètement approprié, petit à petit, en dépassant complètement les rythmes de base du bendir maghrébin. Mais cela c’est fait après trois ou quatre années de fréquentation et de familiarité avec cet instrument. Elles n’auraient jamais pu surgir en deux mois. Je pense que c’est vraiment important : on accepte cette temporalité qui est autre. Ce n’est pas la temporalité des musiques savantes, ou la temporalité des musiques de commercialisation de masse. Nous avons un autre système de pensée musicale et de pensée de la musique, on est dans quelque chose qui prend en compte le temps de l’humain, et qui essaye de prendre en compte les occasions qui laissent à la musique une place.


Vous vous sentez proches d’un monsieur comme Erik Marchand, qui travaille au collectage, à la diffusion des musiques populaires bretonnes, par exemple ?
Ce qui nous rassemble est aussi ce qui nous divise. Le collectage est une activité extrêmement pratiquée par les artistes, en Bretagne, effectivement, mais aussi dans toutes les régions de France, en Poitou-Charentes, dans toutes les régions occitanes Limousin, Auvergne, Aquitaine, Languedoc Roussillon, Rhône Alpes, PACA…Le collectage est devenu depuis les années 60 la seconde occupation des musiciens qui s’intéressent aux musiques d’expression locale. On rejoint à ce titre Erik Marchand, de la même façon qu’on rejoint Jean Baudouin en Aquitaine, Pierre Boissières dans le Gers, Patrick Mazelier en Rhône Alpes, Laurent Haudemar en Languedoc Roussillon, Olivier Durif en Limousin. C’est très important car ce n’a pas été fait avant. La Phonothèque Nationale, dans les années 30, avec le Musée de l’homme ont envoyé des missions en France et dans les colonies pour enregistrer à la volée des paysans, des travailleurs, des colonisés, etc. Pas forcément dans le but de constituer une étude de ces musiques, plutôt dans la volonté de l’époque qui était de représenter de façon un peu ludique et totalement méprisante le tableau d’une puissance coloniale. Nous étions classés dans ce registre-là puisque à la Phonothèque Nationale ces enregistrements étaient conservés tous ensemble : colonies et provinces. Après , dans les années 60/ 70 il y a eu toute une phase de reprise en main. Les Corses ont menacé de mettre une bombe au Musée des Arts et Traditions Populaires. Le lendemain ils récupéraient l’ensemble de ce qui avait été enregistré par la Phonothèque Nationale à l’université de Corte. Nous on n’est pas allé aussi loin, je le regrette et nos enregistrements sont très peu nombreux et très mal conservés au musée des ATP. Finalement, ce sont des gens de la société civile, et pas les gens qui étaient payés pour cela, qui ont fait réellement ce travail de fourmi. Village après village, canton après canton. Moi maintenant mon envie serait de regrouper tout ce travail en un fonds disponible sur internet.

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Au sein de la Cie du lamparo, on peut aller écouter le collectage sur place ou pas ?
Pour l’instant non, on attend que les fichiers aient été traités de façon cohérente. Le public qui vient nous voir est principalement intéressé par le chant, ce qui restreint un peu le public, mais la constitution du fichier donnera lieu à la création d’un centre de ressources, prévu l’an prochain. Jusqu’à présent les documents collectés sont uniquement accessibles aux chercheurs ou aux étudiants. Or, sur du patrimoine immatériel, tu peux avoir la fille du gars qui a entendu dire qu’on a enregistré son grand père qui a envie de venir écouter. Mais cela peut être un chanteur aussi. L’accès à ces choses-là est trop souvent restreint. Je pense qu’il faut diffuser le savoir sans avoir peur, sinon cela crée de la frustration et de l’ignorance. Il faut inclure les savoirs populaires dans le savoir, les cultures populaires dans la culture. Voilà.

Et aujourd’hui vous pensez qu’au niveau des autorités administratives, une écoute est possible pour ce projet ?
Non absolument pas. Auprès des institutions locales, il y a une certaine écoute. Ce sont des gens d’ici, ils réalisent qu’ils ne peuvent pas enterrer tout ça d’un coup de pioche, ils donnent donc des aides et sont présents à divers titres, mais sans politique affirmée par rapport à ces expressions culturelles. Curieusement c’est l’Europe, qui est le plus sensible à ce genre de dossiers, et qui soutient les gens qui font ce travail. Au niveau national, les institutions sont complètement hermétiques, et sont encore dans des postures des années 40. Pour eux la culture occitane, c’est du régionalisme, c’est à dire un espèce de nationalisme à l’échelle d’une région. Or, ce n'est pas du régionalisme au sens où ils l’entendent, eux. Ils traitent d’une chose vivante comme si elle était morte, et c’est là qu’ils se trompent.

Mais là, il y a quand même une bataille, non ?
Non, c’est plutôt…une scène de ménage. C’est un interlocuteur avec lequel on est marié de force depuis maintenant plus de 200 ans. Oui, on a cassé la vaisselle, oui, on a renversé les placards, de part et d’autre le divorce n’est pas souhaitable, mais maintenant, il s’agit de pas donner n’importe quoi aux enfants. Il s’agit pas ne pas tout dilapider maintenant et que les enfants n’aient plus rien.

Propos recueillis par Eglantine Chabasseur le 29/05/2007 pour Musiqualité (www.musiqualite.net/)

http://www.myspace.com/locordelaplana

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